Interview de Jean-Philippe Porcherot, programmateur musical

Qu’est-ce qui vous a personnellement amené au blues et comment est né le Hall blues club ?

Mon premier contact avec le blues date du début des années 70 lors d’un concert du pianiste Memphis Slim. Notre professeur d’anglais nous avait demandé d’interviewer l’artiste. Comme la plupart des adolescents de l’époque, j’écoutais plutôt de la musique folk, pop rock et hard rock (JJ.Cale, Ten Years After, Creedence Clearwater Revival, Deep Purple, Led Zeppelin, The Rolling Stones,…).
Je suis revenu aux sources de ces musiques, à savoir le blues, au milieu des années 80. Depuis le milieu des années 2000, j’ai collaboré à des revues spécialisées (soul bag, blues magazine,…) par des articles sur des concerts et festivals ainsi que quelques chroniques de CDs.
L’association Hall blues club est née en juillet 2010 de la volonté d’un petit groupe d’amis musiciens, amateurs de musiques jazz, qui cherchaient au départ un lieu pour répéter. Ils firent appel à moi pour mes connaissances dans le milieu du blues. A l’initiative de notre premier président, Hervé Couet, des contacts furent pris avec la mairie de Pélussin et Georges Bonnard. Après quelques mois nécessaires à la mise aux normes du caveau de la Passerelle, nous nous installions dans les lieux et décidions d’organiser un premier concert le 7 septembre 2012. Puis tout s’est enchaîné très vite et de nombreuses demandes de groupes nous sont rapidement parvenues. Nous refusons actuellement plus de 250 groupes par an.

Comment le lieu fonctionne-t-il ?

Nous sommes une équipe d’une dizaine de bénévoles actifs et nous nous répartissons les tâches afin de proposer une organisation le plus professionnelle possible. Cela comprend la programmation et la communication, le poste technique (son et lumières), l’accueil des musiciens, l’entretien des locaux, la préparation des repas (faits « maison »), la billetterie, le bar associatif, etc.
Concernant l’aspect financier, nous essayons d’être le plus autonome possible. Les adhésions à l’association constituent notre principale ressource (186 adhérents en 2024). Les bénéfices sur les boissons restent faibles, le bar est là pour le côté convivial.
Les musiciens reçoivent 90% des recettes de la billetterie, quelle que soit leur notoriété. Les 10% restant nous aident à couvrir nos frais d’assurance, de SACEM, d’alimentation, etc.

Qu’est-ce qui en fait un lieu particulier et quel est son rayonnement ?

Plusieurs aspects sont à prendre en compte. Tout d’abord la situation géographique de Pélussin qui est assez centrale sur le trajet des tournées de musiciens, notamment étrangers, entre l’Espagne et l’Allemagne, en passant par la Suisse et l’Italie. Le fait d’être installé dans le quartier de Virieu, cadre historique qui plaît tout particulièrement aux musiciens américains, est un plus.
Un autre atout est la configuration du lieu, assez atypique par rapport aux salles de concerts traditionnelles. La faible volumétrie du hall d’accueil-billetterie avec son bar qui débouche sur un petit caveau où la scène se trouve à même le sol renforce cette impression de proximité avec les musiciens et entre adhérents. Le lieu est propice à engager facilement la discussion et donc à créer du lien social. La décoration du lieu, avec de nombreuses affiches dédicacées par les musiciens, lui donne un supplément d’âme qu’on ne rencontre pas dans les lieux plus conventionnels et aseptisés.
L’accueil convivial de l’équipe du Hall blues club avec des repas « faits maison » pris en commun (en tenant compte des contraintes alimentaires) est l’un de nos points forts, auquel s’ajoute parfois une possibilité d’hébergement accordée par la mairie de Pélussin à la Maison Gaston Baty, très appréciée de tous.
Enfin, l’excellente acoustique du caveau de la Passerelle, pièce semi-enterrée, et la qualité du matériel (batterie, piano électrique, amplis guitare, ampli basse, micros,…) mis à disposition des musiciens en font un endroit privilégié. S’y ajoute la compétence de nos techniciens.
Tous ces atouts font du Hall blues club un lieu quasiment unique, prisé de notre public, et nous permettant de rayonner tant au niveau régional que national, voire international avec, depuis sa création, la venue de musiciens de plus 30 nationalités différentes et de tous les continents.

Que signifie le blues aujourd’hui selon vous et comment le voyez-vous évoluer ?

Le blues attire par son histoire, ses origines africaines, son lien à l’esclavage puis à la ségrégation et aux combats pour les droits civiques. Il s’agit d’une musique viscérale qui peut être ressentie au plus profond de soi. Cette musique est facilement abordable et se décline en différents styles correspondant le plus souvent à des époques en lien avec les évolutions techniques de l’instrumentation, mais aussi à différents styles selon les régions dans lesquelles le blues s’était traditionnellement développé, notamment dans les états du sud des États-Unis.
Le blues est donc une musique universelle évolutive, enracinée dans un patrimoine musical reconnu désormais aux États-Unis, qui a fortement contribué à la naissance du jazz, du rock, du rhythm’n’blues et de toutes autres formes dérivées.
La fusion du blues avec des musiques qualifiées d’ethniques (africaines ou sud-américaines) est une piste explorée par de nombreuses formations pour sortir des sentiers battus. Les textes évoluent également et ne parlent plus des champs de coton mais collent davantage à leur époque, abordant des sujets plus contemporains socialement ou politiquement, même si l’indémodable thématique de l’amour et de ses aléas reste encore souvent abordée.
Si le blues rock, en particulier le style texan, a la faveur des jeunes musiciens à l’heure actuelle, le public reste néanmoins très attaché au blues traditionnel qualifié de rural dans sa forme acoustique ou au style Chicago blues dans sa version électrifiée.
Toutes les variétés de blues en font une musique attractive qui parle facilement à chacune et à chacun.

Comment procédez-vous pour la programmation ?

Je réalise 80% de la programmation du Hall blues club au mois de septembre pour l’année suivante, en essayant d’équilibrer entre les groupes de notoriété régionale et nationale, favorisant les formations qui proposent des compositions personnelles ou qui organisent une tournée promotionnelle de leur nouvel album. Les musiciens locaux ne sont pas oubliés, y compris s’ils proposent un répertoire de reprises, afin que chacun trouve son bonheur parmi nos adhérents.
Dans la mesure du possible, j’essaie d’alterner les différents styles de blues et j’inclus chaque mois un concert de jazz.
Parmi la cinquantaine de concerts proposés en moyenne annuellement, selon les opportunités, je programme des groupes étrangers, soit une vingtaine de formations en 2025, majoritairement italiennes et américaines, mais aussi de nationalité anglaise, espagnole, australienne, finlandaise ou brésilienne.
Je tiens compte également de nos partenariats avec Salaise blues festival au printemps et le festival Les Guitares à l’automne… et, traditionnellement, nous fêtons l’International Jazz Day le 30 avril.
Nous ne programmons pas de concert pendant les vacances scolaires d’été, ni pendant la période des fêtes de Noël.
Pour compléter cette riche programmation, nous organisons quelques expositions en lien avec les musiques jazz et blues dans la salle de la Passerelle, expositions de peintures ou de photographies, comme l’exposition de clichés de Memphis, Tennessee qui a eu lieu dernièrement.

Publié le 30/04/2025